Landreck

La salle principale de l'énorme bâtisse était occupée par une taverne imposante et pour le moins animée. À l'ambiance joyeuse du lieu, nul n'aurait pu deviner la véritable nature du bâtiment. Évidemment, de l'extérieur, il aurait été difficile de ne pas le savoir : le bâtiment était orné d'un titanesque symbole annonçant clairement le propriétaire. Les discussions animées allaient bon train, mais Landreck ne s'y intéressait pas. La bière était fraîche et, à ce qu'il paraissait, de qualité, mais il n'était pas venu pour cela. Il n'avait même pas besoin de scruter les visages à la recherche d'une tête mise à prix, il n'y avait aucune chance d'en trouver une ici. Il y avait pourtant, à n'en pas douter, de belles ordures, dans cette taverne. Mais sous la protection des Justice, et donc sans aucun intérêt, car leur capture ou élimination ne lui fourniraient que des ennuis, et pas une piécette de cuivre.

Sans un regard aux deux cerbères la gardant, il s'avança vers la massive porte en chêne au fond de la salle. Sa main jaillit de sous sa cape, poussant la porte avec un choc sourd. Les deux hommes à ses côtés ne bougèrent pas un muscle.

L'arrière-salle de la taverne était enfumée, plus grande encore que la taverne elle-même. Elle comportait de nombreuses alcôves où des hommes et femmes à la mine plus ou moins patibulaire buvaient et mangeaient, assis à d'énormes tables en chêne. Au centre de la pièce se trouvait la table des dirigeants de Justice. Un demi tronc d'orme, poli et muni de pieds pour le soutenir ; la table occupait toute la longueur de la salle. Quelques guerriers respirant la puissance y étaient attablés. Même de là où il était, Landreck le sentait leur puissance. Prenant soin de masquer la sienne, il s'avança. Celui qu'il cherchait se trouvait à la tête de cette table. À moitié dissimulé dans son ample cape noire, son dora sombre pendant dans le dos, retenu au niveau du cou par un fin cordon argenté. Une masse de cheveux bleutés tombant sur ses épaules et passant devant l'un de ses yeux, le gauche, où la légende voulait qu'ils cachent une cicatrice infligée par le Dark Vlad en personne. Manta bavardait avec un de ses généraux, riant sans réellement paraître joyeux.
Toujours aussi réservé, pensa Landreck.
D'un geste ample, il fit passer sa cape derrière son épaule, révélant une carrure impressionnante pour un disciple de féca. Il retira posément son dora, libérant ses longs cheveux d'un vert étrange, et laissant enfin son aura s'exprimer.

Manta tourna la tête si vite que Landreck vit à peine le mouvement. Plantant ses yeux bleu glace - au regard aussi froid que la couleur le suggérait - dans les yeux d'émeraude de Landreck, il repoussa sa chaise, son bâton à portée de main.

"Qui es-tu, le nouveau venu ? demanda-t-il d'une voix dénuée d'expression.
- Tu me sors le grand jeu, dirait-on, railla Landreck. On ne reconnaît plus ses vieux amis, à présent ?
- Je n'ai que peu d'amis, et je ne me souviens pas te compter parmi eux.
- J'admets qu'on ne s'est pas beaucoup vus depuis l'époque où nous étions amis au temple Féca, mais tu pourrais tout de même te souvenir de moi... Landreck fit une moue vexée, qui paraissait presque comique dans cette situation.
- Hm... Landreck. Que me vaut l'honneur de recevoir celui qui malgré ses capacités ne fut jamais reconnu champion de l'école ? Etait-ce dû à tes origines ou à ta façon de te battre... particulière ? Bah, nous ne saurons jamais, les professeurs de l'époque ont déjà été châtiés pour leurs crimes depuis bien longtemps... Manta sourit légèrement, ce qui ne le rendit pas plus chaleureux pour autant.
- Justement, c'est à ce propos que je suis venu. Tu dois arrêter. Chaque jour que j'ai mis à te trouver, tu as fait massacrer des centaines d'innocents dans tout Amakna. Cela doit cesser.
- Innocents ? INNOCENTS ? Manta se dressa soudain, renversant la chaise de bois et saisissant son lourd bâton. Ces hommes avaient fauté ! Je n'ai fait que rendre la justice ! Et c'est la raison d'être de cette guilde !
- Fauté... Le ton de Landreck se fit acide. Tu parles de celui qui a volé une dizaine de pièces à un de ses amis, de celui qui a passé un moment un peu trop intime avec une femme mariée ou tout simplement de celle qui s'est laissée approcher étant mariée ? Les exemples sont encore nombreux. Et selon toi, ils méritaient la mort ? Combien de personnes vas-tu tuer avant de t'estimer satisfait ? Combien de temps vas-tu encore continuer ? Jusqu'à ce que tu sois seul et décides de te mettre à mort à ton tour ? rugit-il enfin, dressé, colosse menaçant.
- Je ne fais que servir la Justice. Tes opinions ne m'intéressent pas. Retourne à ton temple et vis-y dignement. Tu n'as pas encore compris que les purs comme toi et moi ont pour mission de châtier les impurs pour s'en protéger, mais je sais que tu es intelligent, tu comprendras, à ton tour. Il s'exprimait de manière presque protectrice, à présent.
- Et ceux qui t'entourent, ils sont purs peut-être ? Tu t'imagines que je ne les reconnais pas ? Je connais leurs crimes et leurs primes par coeur. Quant aux autres, les - il cracha presque le mot - petites frappes que tu utilises pour éliminer les plus faibles... Jusqu'où continueras-tu de la sorte ! Tu appelles cela justice ? Je ne vois que haine, haine et incompréhension !
- Et c'est bien de cela qu'est fait notre monde, Landreck, il serait temps de t'en rendre compte ! Je fais ce que je crois bon pour notre monde ! L'avenir me donnera raison.
- Ou pas. Que crois-tu résoudre en tuant ? T'imagines-tu que c'est ainsi que la paix jaillira ? Dans le sang ? Par la mort ? Ne vois-tu pas que la mort n'engendre que haine et regrets, qui à leur tour mènent au meurtre ? Ne vois-tu pas que tu ne fais qu'aggraver une situation qui l'est déjà bien trop ? Pense-tu que c'est ce que les autres auraient voulu que tu deviennes ? Un tyran, un meurtrier ?
- Ne parle pas en leur nom ! Tu ne sais rien d'eux ! Manta hurlait à présent, hors de lui.
- Et elle ? Penses-tu que c'est ce que Fopa aurait voulu que tu deviennes ?
- TUEZ LE !" Manta rabaissa brutalement son dora sur sa tête * pour cacher une larme * pensa Landreck, et s'enfuit vers une porte au fond. Tous s'écartaient craintivement sur son passage.

Landreck se baissa et se jeta en arrière, évitant au passage les deux cerbères qui avaient profité de la discussion pour l'approcher par derrière, et courut jusqu'à la porte. Celle-ci fut fermée devant lui par un jeune disciple de sacrieur, qui s'imaginait visiblement être capable de le retenir le temps que les autres arrivent. Sans perdre son élan, Landreck le saisit d'une main, le projeta derrière lui et sauta, projetant ses deux bottes contre la porte, qui explosa sans demander son reste. Il courut hors de la bâtisse, s'enfuyant dans les ruelles de Bonta, courant à en perdre haleine.


Manta claqua la porte dans un bruit de tonnerre, détruisant tout ce qu'il approchait dans sa chambre. Poussant des hurlement de dément, il frappa du plat de sa main le mur, carbonisant la paroi isolante en bois, puis s'attaqua vainement à la pierre à coups de poing. Maudit Landreck ! Pour qui se prenait-il ? Comment avait-il pu se laisser humilier de la sorte devant ses hommes ? Secoué de sanglots, il s'écroula sur la pierre froide.
Et qu'aurait-elle pensé, au fond...
Depuis son départ, tout avait tant changé. Tant de personnes rencontrées, tant d'amitiés liées et déliées au gré du temps ... Mais toujours ces fautes à éviter scrupuleusement, même quand l'envie s'en faisait irrépressible. Toujours ces principes à respecter. Ne jamais faillir. Jamais. Quand avait-il changé ? Il ne le savait pas lui-même. S'apercevant peu à peu que les gens autour de lui n'avaient rien de cela, qu'ils ne faisaient que vivre sans réfléchir à leurs actes, il avait peu à peu décidé de les aider, puis, suite à de nombreux échecs, de les châtier. Qu'aurait-elle pensé... Depuis bien longtemps il voulait transformer ce monde de haine en havre de paix. Depuis longtemps il voulait punir les mauvais anges, éliminer les démons belliqueux... Donner à tous un certain sens de l'honneur, du devoir... Un beau rêve, qu'il concrétisait aujourd'hui. Alors pourquoi ce doute ? Pourquoi ! Maudit Landreck ! Il allait payer. Il fallait qu'il paye.


Landreck s'arrêta enfin, le souffle court, dissimulé dans l'ombre d'une porte cochère, dans une ruelle étroite. Il ne pouvait pas être mieux dissimulé, mais serait en mauvaise posture s'ils le trouvaient. Cependant il était confiant. Après une telle course, n'importe qui d'autre que lui aurait été épuisé. Prudemment, il sortit la tête du recoin d'ombre, observant la ruelle. Rien... Un doux vent, une vague odeur de pain chaud provenant des boulangeries alentours... et... Il huma plus fortement. Une odeur de fer. Tout près. Trop près ! Il recula brusquement en lançant son sort de bouclier, juste à temps pour voir deux dagues surgir du vide et se planter dans la porte juste derrière lui.

"Un invisible, hein ? Et que dis-tu de cela ?" cria Landreck en envoyant un sort d'aveuglement sur son adversaire. Celui-ci, déconcentré par sa cécité momentanée, relâcha sa concentration, laissant sa silhouette apparaître. Landreck s'élança, le bâton brandi, pour soudain se retourner, alerté par un bruit dans son dos, et parer de justesse une énorme lame qui s'abattait sur lui. Il se jeta ensuite à terre au moment où une flèche fusait vers son visage. Son dora fut transpercé et fixé comme un vulgaire insecte à un mur de torchis, derrière lui. Un disciple de Sram, un guerrier de Iop et un archer de Crâ. À trois contre un dans un espace aussi réduit, ça s'annonçait mal... Landreck sourit.
Individuellement, ils sont forts, mais ils n'ont aucun sens d'équipe. Le Iop et le Sram tentent de faire front côte à côte, mais leurs styles de combat sont différent et la taille de l'arme du premier gênera le second, au risque de le blesser. Et ça n'est pas en se cachant derrière dans une ruelle si étroite que l'archer servira à quelque chose
Landreck s'élança, droit sur les deux hommes.
D'abord le plus rapide
Se fendant au moment où la lame du guerrier l'atteignait, il l'esquiva sans peine.
Bien trop lent
L'assassin fut plus rapide, ses deux dagues fusant vers le visage du Féca. Le Sram eut à peine le temps de comprendre son erreur en voyant ses lames ralentir, freinées par le bouclier magique du Féca. L'extrémité du bâton de ce dernier le heurta au niveau des côtes, en un coup direct puissant, l'envoyant bouler dans la ruelle, le souffle coupé.

Profitant de sa position basse, Landreck fit décrire à son bâton un large arc de cercle, fauchant les deux jambes du guerrier qui s'écroula, lui laissant le temps de s'occuper de l'archer. Celui-ci n'avait même pas encoché de flèche.
Amateur...
Landreck ne lui laissa pas le temps de réagir. Saisissant son bâton à deux mains, il porta un puissant coup ascendant au niveau de la gorge, puis passant devant l'archer, il fit décrire un arc de cercle à son bâton, lui fracassant la nuque alors qu'il tombait à genoux, assommé.
Et d'un.
Le guerrier s'était relevé, mais l'assassin essayait toujours de retrouver son souffle, au sol. Landreck bondit, bloqua un puissant coup de taille de son bâton, puis d'une brusque saccade il fit sauter l'arme des mains du Iop. Il enchaîna une série de coups aux jambes et à l'abdomen , laissa le guerrier s'écrouler puis se laissa retomber sur le jeune homme, le bâton à la verticale au niveau de son orbite. Il s'y enfonça dans un jaillissement de sang. L'homme émit un gargouillis et mourut. Une douleur mordante irradia le bras droit de Landreck. Malgré ses réflexes, il n'avait pu éviter totalement la dague lancée par l'assassin, qui l'avait éraflé au passage. Furieux d'avoir été blessé, il se retourna brusquement, murmura quelques mots de pouvoir pour se téléporter derrière son adversaire, et porta un puissant coup latéral au niveau du genou. L'os quitta son articulation avec un bruit à soulever le coeur. Le Sram hurla et s'écroula contre un mur, terrassé par la douleur. Landreck continua son mouvement, tournant sur lui même, il envoya de toutes ses forces sa botte dans le visage décharné de l'assassin, l'écrasant contre le mur. Le crâne céda, libérant un flot de sang contre le mur blanchâtre.

Vermine, pensa-t-il. Même pas fichus d'être doués au combat... Son bras le brûlait anormalement, pour une blessure aussi superficielle. Il regarda l'entaille. Rouge et boursouflée, la blessure noircissait en son centre. Du poison murmura-t-il, sentant ses forces l'abandonner.


Le grand homme aux cheveux verts s'écroula dans la ruelle, terrassé par le poison. Il avait bien résisté pour un mage... Ce salaud de Kahl était pourtant réputé pour ses poisons fulgurants... Sortant de sa cachette, Lys s'approcha. Il vivait encore... Mais pour combien de temps... Qu'importe, il pourrait être utile. Seul un fou pouvait s'attaquer à Justice, et Lys venait de trouver le fou qui lui faisait défaut pour vaincre Manta.

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